CP 01999 Marcel Proust à Reynaldo Hahn [le 17 ou le 18 juillet 1909]
1
Bonjour, Metmata2
Bunibuls comme rien n’est
plus commode et « à
proximité »
comme bibliothèque qu’un
lit quand on ne se lève pas,
je
relis tout le temps « faute
d’autre chose » (non, buncht,
par prédilection) vos divins ar-
ticles3 dont l’esprit m’enivre,
la rosserie me donne des
transes
et le talent une jalousie infinie
mais sans aigreur. Buncht,
étranges relations cette semaine
2
avec « l’Elisabeth ». Je reçoisl’autre jour sous une même
enveloppe deux lettres. L’une
du secrétaire de la dite4 me
disant que « Madame la Comtesse a
la plus profonde admiration pour
mon talent (!) et que si j’écrivais quelques
lignes sur Bagatelle5, les personnes
qui pensent m’en sauraient gré etc.
L’autre lettre de l’El.6 me
disant que ... la même chose
et d’écrire quelques lignes comme je
le sens c’est à dire « exquisement
poétiques ». Peu habitué aux éloges
même intéressés je vous redis ceux-ci
tout au long en ajoutant même un
peu. Là-dessus refus navré de moi
3
mais ma santé, ai refusé à d’autres personnes etc7. Que croyez-vous
que fait l’E. Qu’elle insiste ?
nullement. Elle comprend mes
raisons et m’envoie .....
une vigne, une magnifique
vigne d’où pendent des raisins à
flots. Et me dit que si je
suis encore souffrant ces jours-ci
elle viendra me voir quand je
voudrai que je lui dise heure et
jour « espérant vous trouver
à la hauteur de votre vaillance »
(?) _ . La lettre était
fort littéraire avec des mots
4
tels que : « symbole parlant ».
Mais parlant de la vigne elle
disait : « acceptez là » avec
un accent grave qui m’a
paru surtout grave pour elle
et qui est lui aussi un
« symbole parlant ».... Quant
à la vigne comme ici bas les
plus belles choses ont le
pire destin 8, comme dit à peu
près Malherbe, je l’envoie
à Marie Nordlinger9. Il est
probable qu’elle croirait qu’une
carte postale a plus de valeur.
Je voulais y joindre q. q roses pour
mettre le vers de Gérard « Le
pampre à la rose s’allie » 10 mais
5
j’ai réfléchi que celui de
Mallarmé « Quand des raisins
j’ai sucé la clarté » 11 ferait autant
d’effet et serait plus économi
que puisqu’il ne nécessite pas
de roses, et que les raisins y
sont.
Genstil « je crains que mon roman
sur le
vieilch Ste-Veuve12
« Ne soit pas, entre nous, très goûté
chez la
Beuve13. »
Mais tant pis. Genstil vous allez me
renboyer cette lettre et n’en dire
mot
à qui que ce soit. J’ai beaucoup de
sympathie
pour l’E (moins que pour Metmata)
de plus elle a été fort gentille et cela me
6
ferait beaucoup de peine s’il lui
revenait que j’ai fait ces plaisanteries
d’autant plus que je l’ai remerciée avec
prosternement14. Or la Winaretta trou
verait cette histoire sur « la vigne » tout
à fait dans sa voix et la répéterait15, la
Nlle Mise de Ripon16à qui j’ai envoyé des livres mais je ne lui
écris pas car je ne sais que lui dire, qui déteste l’E et
aime Montesquiou la lui narrerait
et dans les cinq minutes l’E serait
avertie car Montesquiou maintenant qd
quelqu’un laisse échapper un mot contre
une autre personne le lui écrit instanta
nément. Donc mystère, je m’épanche
avec vous comme je faisais avec Maman.
Mais elle ne racontait rien. Je ne
ferai plus demander de nouvelles de Madrazo17
puisqu’il sort. Mais dites à votre sœur,
à lui et à Coco que je faisais demander chez vous18
7
pour ne pas déranger mais queje ne me suis pas désintéressé !
Ils doivent le croire.
Genstil Ste Geuve s’appellera
ou bien
1º
« Contre Sainte Beuve ».
Souvenir d’une matinée19, ou
les Sept jeunes filles20
ou bien
2º
Quand les yeux se sont habituées à l’obscurité21
Ou alors si je fais paraître en même temps les Plai-
sirs et les Jours22, ils ne s’appelleront
plus les Plaisirs
et les Jours
mais « Premières années dans la Société
et dans la
Solitude »23
et Ste Geuve s’appellera
alors
« Le Retour à la Solitude ».
Enfin je ne sais quelle épigraphe portera
Ste Beuve
j’hésite entre
« Je suis la Résurrection et la Vie »24
ou
« Paris est si petit »25, ou
« Souvent un
beau désordre est un effet de
l’art
» 26. — . Comme
tout cela doit vous intéresser !
Hasgueu27.
Bonjour, Metmata2
Bunibuls comme rien n’est plus commode et « à proximité » comme bibliothèque qu’un lit quand on ne se lève pas, je relis tout le temps « faute d’autre chose » (non, buncht, par prédilection) vos divins articles3 dont l’esprit m’enivre, la rosserie me donne des transes et le talent une jalousie infinie mais sans aigreur. Buncht, étranges relations cette semaine avec « l’Elisabeth ». Je reçois l’autre jour sous une même enveloppe deux lettres. L’une du secrétaire de la dite4 me disant que « Madame la Comtesse a la plus profonde admiration pour mon talent (!) et que si j’écrivais quelques lignes sur Bagatelle5, les personnes qui pensent m’en sauraient gré » etc. L’autre lettre de l’Elisabeth6 me disant que ... la même chose et d’écrire quelques lignes comme je le sens c’est-à-dire « exquisement poétiques ». Peu habitué aux éloges même intéressés je vous redis ceux-ci tout au long en ajoutant même un peu. Là-dessus refus navré de moi mais ma santé, ai refusé à d’ autres personnes etc7. Que croyez-vous que fait l’Elisabeth. Qu’elle insiste ? nullement. Elle comprend mes raisons et m’envoie ..... une vigne, une magnifique vigne d’où pendent des raisins à flots. Et me dit que si je suis encore souffrant ces jours-ci elle viendra me voir quand je voudrai, que je lui dise heure et jour « espérant vous trouver à la hauteur de votre vaillance ». (?)
La lettre était fort littéraire avec des mots tels que : « symbole parlant ». Mais parlant de la vigne elle disait : « acceptez là » avec un accent grave qui m’a paru surtout grave pour elle et qui est lui aussi un « symbole parlant ».... Quant à la vigne comme ici bas les plus belles choses ont le pire destin 8, comme dit à peu près Malherbe, je l’envoie à Marie Nordlinger9. Il est probable qu’elle croirait qu’une carte postale a plus de valeur. Je voulais y joindre quelques roses pour mettre le vers de Gérard « Le pampre à la rose s’allie » 10 mais j’ai réfléchi que celui de Mallarmé « Quand des raisins j’ai sucé la clarté » 11 ferait autant d’effet et serait plus économique puisqu’il ne nécessite pas de roses, et que les raisins y sont.
Genstil « je crains que mon roman sur le vieilch Ste-Veuve12 ne soit pas, entre nous, très goûté chez la Beuve13. » Mais tant pis. Genstil vous allez me renboyer cette lettre et n’en dire mot à qui que ce soit. J’ai beaucoup de sympathie pour l’Elisabeth (moins que pour Metmata) de plus elle a été fort gentille et cela me ferait beaucoup de peine s’il lui revenait que j’ai fait ces plaisanteries d’autant plus que je l’ai remerciée avec prosternement14. Or la Winaretta trouverait cette histoire sur « la vigne » tout à fait dans sa voix et la répéterait15, la nouvelle Marquise de Ripon16à qui j’ai envoyé des livres mais je ne lui écris pas car je ne sais que lui dire, qui déteste l’Elisabeth et aime Montesquiou la lui narrerait et dans les cinq minutes l’Elisabeth serait avertie car Montesquiou maintenant quand quelqu’un laisse échapper un mot contre une autre personne le lui écrit instantanément. Donc mystère, je m’épanche avec vous comme je faisais avec Maman. Mais elle ne racontait rien. Je ne ferai plus demander de nouvelles de Madrazo17 puisqu’il sort. Mais dites à votre sœur, à lui et à Coco que je faisais demander chez vous18 pour ne pas déranger mais que je ne me suis pas désintéressé ! Ils doivent le croire.
Genstil Ste Geuve s’appellera
ou bien
1º
« Contre Sainte Beuve ». Souvenir d’une matinée19, ou les Sept jeunes filles20
ou bien
2º
Quand les yeux se sont habitués à l’obscurité21
Ou alors si je fais paraître en même temps les Plaisirs et les Jours22, ils ne s’appelleront plus les Plaisirs et les Jours mais « Premières années dans la Société et dans la Solitude »23 et Ste Geuve s’appellera alors « Le Retour à la Solitude ».
Enfin je ne sais quelle épigraphe portera Ste Beuve j’hésite entre
« Je suis la Résurrection et la Vie »24
ou
« Paris est si petit »25, ou « Souvent un beau désordre est un effet de l’art » 26.
Comme tout cela doit vous intéresser !
Hasgueu27.
Date de la dernière mise à jour : September 22, 2024 18:11
1
Bonjour, Metmata2
Bunibuls comme rien n’est
plus commode et « à
proximité »
comme bibliothèque qu’un
lit quand on ne se lève pas,
je
relis tout le temps « faute
d’autre chose » (non, buncht,
par prédilection) vos divins ar-
ticles3 dont l’esprit m’enivre,
la rosserie me donne des
transes
et le talent une jalousie infinie
mais sans aigreur. Buncht,
étranges relations cette semaine
2
avec « l’Elisabeth ». Je reçoisl’autre jour sous une même
enveloppe deux lettres. L’une
du secrétaire de la dite4 me
disant que « Madame la Comtesse a
la plus profonde admiration pour
mon talent (!) et que si j’écrivais quelques
lignes sur Bagatelle5, les personnes
qui pensent m’en sauraient gré etc.
L’autre lettre de l’El.6 me
disant que ... la même chose
et d’écrire quelques lignes comme je
le sens c’est à dire « exquisement
poétiques ». Peu habitué aux éloges
même intéressés je vous redis ceux-ci
tout au long en ajoutant même un
peu. Là-dessus refus navré de moi
3
mais ma santé, ai refusé à d’autres personnes etc7. Que croyez-vous
que fait l’E. Qu’elle insiste ?
nullement. Elle comprend mes
raisons et m’envoie .....
une vigne, une magnifique
vigne d’où pendent des raisins à
flots. Et me dit que si je
suis encore souffrant ces jours-ci
elle viendra me voir quand je
voudrai que je lui dise heure et
jour « espérant vous trouver
à la hauteur de votre vaillance »
(?) _ . La lettre était
fort littéraire avec des mots
4
tels que : « symbole parlant ».
Mais parlant de la vigne elle
disait : « acceptez là » avec
un accent grave qui m’a
paru surtout grave pour elle
et qui est lui aussi un
« symbole parlant ».... Quant
à la vigne comme ici bas les
plus belles choses ont le
pire destin 8, comme dit à peu
près Malherbe, je l’envoie
à Marie Nordlinger9. Il est
probable qu’elle croirait qu’une
carte postale a plus de valeur.
Je voulais y joindre q. q roses pour
mettre le vers de Gérard « Le
pampre à la rose s’allie » 10 mais
5
j’ai réfléchi que celui de
Mallarmé « Quand des raisins
j’ai sucé la clarté » 11 ferait autant
d’effet et serait plus économi
que puisqu’il ne nécessite pas
de roses, et que les raisins y
sont.
Genstil « je crains que mon roman
sur le
vieilch Ste-Veuve12
« Ne soit pas, entre nous, très goûté
chez la
Beuve13. »
Mais tant pis. Genstil vous allez me
renboyer cette lettre et n’en dire
mot
à qui que ce soit. J’ai beaucoup de
sympathie
pour l’E (moins que pour Metmata)
de plus elle a été fort gentille et cela me
6
ferait beaucoup de peine s’il lui
revenait que j’ai fait ces plaisanteries
d’autant plus que je l’ai remerciée avec
prosternement14. Or la Winaretta trou
verait cette histoire sur « la vigne » tout
à fait dans sa voix et la répéterait15, la
Nlle Mise de Ripon16à qui j’ai envoyé des livres mais je ne lui
écris pas car je ne sais que lui dire, qui déteste l’E et
aime Montesquiou la lui narrerait
et dans les cinq minutes l’E serait
avertie car Montesquiou maintenant qd
quelqu’un laisse échapper un mot contre
une autre personne le lui écrit instanta
nément. Donc mystère, je m’épanche
avec vous comme je faisais avec Maman.
Mais elle ne racontait rien. Je ne
ferai plus demander de nouvelles de Madrazo17
puisqu’il sort. Mais dites à votre sœur,
à lui et à Coco que je faisais demander chez vous18
7
pour ne pas déranger mais queje ne me suis pas désintéressé !
Ils doivent le croire.
Genstil Ste Geuve s’appellera
ou bien
1º
« Contre Sainte Beuve ».
Souvenir d’une matinée19, ou
les Sept jeunes filles20
ou bien
2º
Quand les yeux se sont habituées à l’obscurité21
Ou alors si je fais paraître en même temps les Plai-
sirs et les Jours22, ils ne s’appelleront
plus les Plaisirs
et les Jours
mais « Premières années dans la Société
et dans la
Solitude »23
et Ste Geuve s’appellera
alors
« Le Retour à la Solitude ».
Enfin je ne sais quelle épigraphe portera
Ste Beuve
j’hésite entre
« Je suis la Résurrection et la Vie »24
ou
« Paris est si petit »25, ou
« Souvent un
beau désordre est un effet de
l’art
» 26. — . Comme
tout cela doit vous intéresser !
Hasgueu27.
Bonjour, Metmata2
Bunibuls comme rien n’est plus commode et « à proximité » comme bibliothèque qu’un lit quand on ne se lève pas, je relis tout le temps « faute d’autre chose » (non, buncht, par prédilection) vos divins articles3 dont l’esprit m’enivre, la rosserie me donne des transes et le talent une jalousie infinie mais sans aigreur. Buncht, étranges relations cette semaine avec « l’Elisabeth ». Je reçois l’autre jour sous une même enveloppe deux lettres. L’une du secrétaire de la dite4 me disant que « Madame la Comtesse a la plus profonde admiration pour mon talent (!) et que si j’écrivais quelques lignes sur Bagatelle5, les personnes qui pensent m’en sauraient gré » etc. L’autre lettre de l’Elisabeth6 me disant que ... la même chose et d’écrire quelques lignes comme je le sens c’est-à-dire « exquisement poétiques ». Peu habitué aux éloges même intéressés je vous redis ceux-ci tout au long en ajoutant même un peu. Là-dessus refus navré de moi mais ma santé, ai refusé à d’ autres personnes etc7. Que croyez-vous que fait l’Elisabeth. Qu’elle insiste ? nullement. Elle comprend mes raisons et m’envoie ..... une vigne, une magnifique vigne d’où pendent des raisins à flots. Et me dit que si je suis encore souffrant ces jours-ci elle viendra me voir quand je voudrai, que je lui dise heure et jour « espérant vous trouver à la hauteur de votre vaillance ». (?)
La lettre était fort littéraire avec des mots tels que : « symbole parlant ». Mais parlant de la vigne elle disait : « acceptez là » avec un accent grave qui m’a paru surtout grave pour elle et qui est lui aussi un « symbole parlant ».... Quant à la vigne comme ici bas les plus belles choses ont le pire destin 8, comme dit à peu près Malherbe, je l’envoie à Marie Nordlinger9. Il est probable qu’elle croirait qu’une carte postale a plus de valeur. Je voulais y joindre quelques roses pour mettre le vers de Gérard « Le pampre à la rose s’allie » 10 mais j’ai réfléchi que celui de Mallarmé « Quand des raisins j’ai sucé la clarté » 11 ferait autant d’effet et serait plus économique puisqu’il ne nécessite pas de roses, et que les raisins y sont.
Genstil « je crains que mon roman sur le vieilch Ste-Veuve12 ne soit pas, entre nous, très goûté chez la Beuve13. » Mais tant pis. Genstil vous allez me renboyer cette lettre et n’en dire mot à qui que ce soit. J’ai beaucoup de sympathie pour l’Elisabeth (moins que pour Metmata) de plus elle a été fort gentille et cela me ferait beaucoup de peine s’il lui revenait que j’ai fait ces plaisanteries d’autant plus que je l’ai remerciée avec prosternement14. Or la Winaretta trouverait cette histoire sur « la vigne » tout à fait dans sa voix et la répéterait15, la nouvelle Marquise de Ripon16à qui j’ai envoyé des livres mais je ne lui écris pas car je ne sais que lui dire, qui déteste l’Elisabeth et aime Montesquiou la lui narrerait et dans les cinq minutes l’Elisabeth serait avertie car Montesquiou maintenant quand quelqu’un laisse échapper un mot contre une autre personne le lui écrit instantanément. Donc mystère, je m’épanche avec vous comme je faisais avec Maman. Mais elle ne racontait rien. Je ne ferai plus demander de nouvelles de Madrazo17 puisqu’il sort. Mais dites à votre sœur, à lui et à Coco que je faisais demander chez vous18 pour ne pas déranger mais que je ne me suis pas désintéressé ! Ils doivent le croire.
Genstil Ste Geuve s’appellera
ou bien
1º
« Contre Sainte Beuve ». Souvenir d’une matinée19, ou les Sept jeunes filles20
ou bien
2º
Quand les yeux se sont habitués à l’obscurité21
Ou alors si je fais paraître en même temps les Plaisirs et les Jours22, ils ne s’appelleront plus les Plaisirs et les Jours mais « Premières années dans la Société et dans la Solitude »23 et Ste Geuve s’appellera alors « Le Retour à la Solitude ».
Enfin je ne sais quelle épigraphe portera Ste Beuve j’hésite entre
« Je suis la Résurrection et la Vie »24
ou
« Paris est si petit »25, ou « Souvent un beau désordre est un effet de l’art » 26.
Comme tout cela doit vous intéresser !
Hasgueu27.
Date de la dernière mise à jour : September 22, 2024 18:11